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Valérie STEUNOU
Résultats de recherches L’église Saint-Jean-Baptiste de Larrau dans son environnement master Cultures et Sociétés, Spécialité Recherche en Histoire de l’Art Médiéval, U.P.P.A., 2009
Située au cœur du bourg très aggloméré, établie sur un promontoire, l’église Saint-Jean-Baptiste de Larrau se caractérise par une création du gothique tardif, atypique pour la Haute-Soule qui s’illustre, généralement, par ses vestiges de l’époque romane. L’édifice considérablement remanié au fil du temps ne correspond pas à sa configuration originelle (fig.1). L’étude du bâti a permis d’envisager une restitution chronologique des différentes campagnes de construction ou de transformations de l’église. Sa position transpyrénéenne a probablement joué un rôle important dans l’adoption de partis architecturaux. Son passé lié au statut de dépendance de l’abbaye béarnaise de Sauvelade est également à prendre en compte concernant la propagation de modèles.
(fig. 1).
L’église et l’hôpital de Larrau, noyau originel du bourg, fonctionnent en binôme si l’on se réfère à l’acte de 1562.1 La mention couplée des deux entités renverrait à la configuration médiévale correspondant à la catégorie d’église-hôpital, ecclesie cum hospitali, qui a été identifiée comme un des cinq groupes classant les possessions de Sainte-Christine.2 Tous les hôpitaux dépendant de l’abbaye augustinienne tels que Gabas, Mifaget, Aubertin, Lembeye, Saint-Christau, conformément à la Bulle d’Innocent III, avaient une église annexée. Il est attesté, pour ces exemples, que la construction de l’église suit de près celle de l’hôpital. Nous pouvons envisager une pratique similaire à Larrau : une construction de l’église en parallèle à la création de l’hôpital entre la fin du XIIe siècle et les premières décades du XIIIe siècle.
(fig. 2).
De la première phase de construction, l’église ne conserve que quelques rangs d’assises compris dans la deuxième travée de la nef. Il faut y rajouter des fragments de bandeau unificateur aux murs gouttereaux, les parties inférieures des piles du chevet, et, sous réserve, l’ouverture étroite fermée par un linteau monolithe réemployée dans la chapelle nord. La disparité de morphologie des fondations entre la première et la deuxième travée de nef et sa correspondance dans l’élévation des murs gouttereaux correspondants étayent l’hypothèse d’un plan originel de nef unique d’une seule travée (fig. 2). Les fragments de bandeau chaînés à la nef pour cette partie de l’église, laissent envisager un possible voûtement de ce premier module. Le couvrement par voûte de pierre est plus probable lors d’une deuxième phase de construction, lorsque est rajoutée une travée supplémentaire en partie occidentale. Plusieurs indices archéologiques mis en évidence confirment cette configuration et témoignent d’une adaptation de la partie occidentale de la nef en direction du chevet. Des tailloirs viennent couronner la partie supérieure des pilastres.3 Le tailloir méridional, à imposte légèrement biseautée, présente la particularité de se prolonger pour faire bandeau en direction du chevet. Cet ensemble est taillé dans un seul bloc faisant office à la fois de terminaison du pilastre et de départ de bandeau (fig. 3). Il fait ainsi la liaison avec le fragment du bandeau appartenant à la phase précédente. Cet assemblage ne s’observe pas au tailloir nord : ce dernier ne se prolonge pas en direction du chevet du fait de la présence du bandeau primitif. De plus, ces derniers éléments ne sont pas parfaitement chaînés à la nef. Autres signes distinctifs qui prouvent une disparité entre les éléments des deux phases : les dimensions, les factures et le matériau. Les éléments architectoniques de la première phase sont travaillés dans un matériau calcaire aux tonalités ocre beige tandis que ceux du second état de la nef sont réalisés dans un calcaire gris clair façonné plus soigneusement.
(fig. 3).
(fig. 4).
Un indice archéologique supplémentaire permet d’appréhender le couvrement antérieur de la nef. Les tailloirs des pilastres nord et sud reçoivent la retombée d’un arc doubleau dont on distingue encore sous l’enduit de plâtre les trois premières assises du voussoir (fig. 4). Elles sont réalisées en moyen appareil de carreaux et boutisses assemblés en besace. L’arc doubleau présente un deuxième rang de claveaux uniquement sur la face latérale ouest du premier rouleau témoignant d’une adaptation, ce schéma ne correspondant pas au type classique d’arc doubleau à double rouleau. La présence de deux contreforts contrebutant le mur gouttereau nord (d’après le cadastre de 1830) corrobore cette hypothèse d’une nef voûtée. Le voûtement pouvait avoir la configuration d’un berceau brisé suivant le tracé de l’arc triomphal. Ce parti se rapprocherait de celui adopté pour l’église de Haux.
La construction de la façade occidentale est contemporaine de la première travée. L’appareil de moellons qui les compose est similaire. La baie au tracé brisé, située à l’angle sud-ouest, présente un double ébrasement et est parfaitement intégrée au mur gouttereau tendant à prouver qu’elle a gardé sa place originelle. D’après la plaque commémorative située au portail de l’église, nous savons que cet ensemble correspond à la phase de construction ou de reconstruction consécutive aux invasions huguenotes. La mention de l’abbé Boyer de Sauvelade confirme qu’elle s’inscrit dans la politique de réhabilitation du patrimoine de l’abbaye cistercienne qui s’opère à Larrau en 1655, date timbrant la clef du portail de l’église. Sont nommés également le prêtre du lieu, Jean Jauregoien, le vicaire et l’archevêque métropolitain d’Auch, Jean de Corton.4 Il n’est donc pas exclu que le rallongement de la nef augmentée vers l’occident d’une travée supplémentaire et son voûtement n’interviennent qu’en 1655. Il s’agirait ainsi soit d’une reconstruction qui réitère un parti antérieur, soit d’une construction tardive dont les procédés adoptés relèvent de modèles médiévaux.
Entre le premier état de la nef (fin du XIIe siècle/début XIIIe siècle) en lien avec la venue des moines de Sauvelade et la deuxième phase d’édification attestée au milieu du XVIIe siècle, vient se greffer une phase intercalaire de construction entre la fin du Moyen-Age et le début de l’époque moderne : elle concerne le chevet. Le couvrement du chevet s’opère à Larrau par deux voûtes à liernes et tiercerons. Les composantes de cette réalisation, modénature, élément de décor permettent de poser quelques jalons pour une datation qui reste hypothétique en l’absence de source documentée.
Les disparités de l’appareil du mur droit observées avant la restauration5 témoignent de modifications du chevet : les ouvertures obturées à droite et à gauche donnaient dans l’ancienne sacristie qui se développait au-delà du chevet actuel. Ce chevet est dépourvu de baie axiale mais elle a pu disparaître au moment de la mise en place du retable. Il est difficile de trancher sur le parti originel car le chevet plat peut traduire ici une modification ou une construction de la fin du Moyen Age. Un indice de liaison du parement entre le mur et les contreforts (visible à l’angle sud-est du chevet) semble conforter l’idée qu’il ne faille pas dissocier la construction de ce mur plat de celle des contreforts corniers. Cette disposition devient usuelle entre le XIVe et le XVe siècle. Il semblerait que l’exemple de Larrau puisse être rattaché à ceux du Béarn, notamment en Vic-Bilh, qui traduisent une datation moderne,6 mais également à d’autres exemples navarrais, du Gipuzkoa ou de Biscaye. L’adoption du chevet plat à Larrau peut s’inscrire également dans la logique de parti adopté par le gothique tardif, dont la région bordelaise offre de multiples exemples (Nérigean, Saint-Laurent-d’Arce) qui associent des contreforts corniers au chevet droit.
Le chevet s’ouvre sur des chapelles latérales et, d’après nos conclusions, la chapelle méridionale s’est développée à l’époque contemporaine depuis l’occident vers l’orient à partir d’un module plus ancien. À l’inverse, la chapelle septentrionale a été agrandie à partir d’une construction réalisée à l’époque moderne, depuis l’orient vers l’occident, ceci expliquant leurs disparités tant au niveau de leur longueur que de l’appareil les composant. Ces adjonctions et remaniements sont pressentis entre le deuxième tiers du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle.7 Il est possible que c’est modifications aient été programmées en même temps que l’édification de la partie supérieure du clocher, attestée en 1873 par le cartouche en place sur sa face occidentale.
(fig. 5).
Qu’elle supplante un couvrement antérieur de type différent reconstruit ou qu’elle reflète une pratique très courante de construction par étapes parfois très longues, la construction des voûtes correspond à ce profil d’édifice où les parties nouvelles ont été conçues en fonction des anciennes auxquelles elles ont dû s’adapter. Situés à la retombée des nervures, les culots ont permis, d’un point de vue structurel, de monter les voûtes en respectant le schéma antérieur. Une approche typologique a conduit à classer les six culots en trois paires. Leurs disparités se réfèreraient plus à une fonction structurelle adaptée de soutien des arcs assortie peut-être d’une volonté stylistique qu’à une réalisation chronologique d’ouest en est. Ce sont des créations composites locales qui combinent des emprunts thématiques et techniques conférant au décor monumental son caractère hybride. La première paire de culots, à l’entrée du chevet de l’église, présente une forme empruntée du chapiteau à l’épannelage dérivé du cube que l’on rencontre à San Salvador de Leyre ou à Ujué en Navarre, par exemple. Le culot n° 6 de Larrau présente un thème décoratif —canevas alvéolé— héritier des formes romanes développées à l’église de Haux toute proche —entrelacs très denses et au réseau serré, rappelant les motifs de vannerie— (Fig. 5). Les emprunts sur la forme et la thématique dictent la technique au culot n° 6 tandis que pour le culot n° 1, l’emprunt sur la forme aboutit à une altération dans la thématique et la technique. Le motif végétal aux feuilles stylisées correspond, par le choix du thème, à la flore naturaliste appelée 2e flore gothique par Denise Jalabert,8 provenant du gothique d’Ile de France des XIIIe et XIVe siècles. La technique indigène met en évidence un traitement du décor en surface plane, le travail fruste et schématique de l’artisan local. Les culots médians sont révélateurs d’emprunts tant dans la forme pyramidale renversée composée de deux assises différenciées, que dans la technique par le jeu des moulurations. Ces éléments associant végétal en partie supérieure et figure humaine en partie inférieure, semblent directement piochés dans les modèles de la première sculpture gothique des XIIe et XIIIe siècles. Les culots, en encorbellement, sont composés de deux assises clairement identifiées par la disposition du motif. Ce dispositif rappelle certains exemples de la Bourgogne des XIIe et XIIIe siècle en particulier à Saint-Pierre-sous-Vézelay. L’assise supérieure, probablement similaire pour les deux culots médians, recevait un décor de moulurations assorti d’une frise végétale. L’assise inférieure abrite un personnage en buste qui se détache en relief à 3 cm de la surface. Bien que cette image soit mutilée, nous pouvons distinguer un personnage à la bouche béante. Cette exacerbation organique pourrait renvoyer à la thématique iconographique des sens, de la parole véhiculant la vérité ou le mensonge. Ces emprunts aboutissent à une création thématique que l’on pourrait qualifier de composite par la combinaison d’un motif décoratif empreint d’esprit Renaissance et d’une iconographie dans la tradition médiévale.
(fig. 6).
Caractéristique de la fin de l’époque gothique, la voûte à liernes et tiercerons se décline sous deux formes distinctes à Larrau. Le schéma adopté semble avoir déterminé les dimensions des deux travées correspondantes. La première, à l’entrée du chevet, plus étroite que la seconde, se développe dans un espace compris entre 3,61 m de long sur 5,41 de large. Les tiercerons doublés à projection courbe caractéristique du gothique tardif relient les arcs diagonaux et les liernes, dessinant ainsi une sorte de rosace (fig. n°6).
La deuxième travée, de même largeur, est légèrement plus longue avec 4,05 m. Elle arbore une voûte qui est une variante du classique schéma de la voûte en étoile du gothique flamboyant (fig. 7). Les voûtains sont montés suivant le principe de la pénétration en prenant appui, d’un côté, sur le doubleau, et de l’autre, sur le formeret. La construction est constituée d’un petit appareil de pierre pour les voûtains de 20 cm d’épaisseur tandis que les nervures sont clavées régulièrement de blocs de faible largeur. Les joints de mortier ont été refaits à l’époque contemporaine, lors des restaurations post séisme.9
Le matériau utilisé pour l’intégralité des voûtes semble correspondre à une cargneule —« pierre d’Aydus »— du Keuper10 pyrénéen. La cargneule, « roche carbonatée caverneuse et cloisonnée, offre une teinte allant du beige au brunâtre en passant par le jaune et le jaune chamois ».11 Les claveaux des nervures présentent distinctement ces vacuoles caractéristiques, que l’on remarque dans d’autres secteurs de l’église, en particulier à l’intrados du voussoir de l’arc nord-est bien appareillé. À Saint-Jean-Baptiste de Larrau, cette pierre est utilisée surtout pour alléger la construction des voûtes du chevet, car elle allie à la fois solidité et fort pouvoir isolant grâce à l’air emprisonné dans les vacuoles. Elle a été employée à l’Hôpital Saint-Blaise et dans la plupart des édifices Haut-Souletins.
Le profil de l’ensemble des arcs des deux voûtes présente un socle suivi d’un tore assorti de deux cavets et d’un listel central. Ce profil s’apparente aux exemples du Béarn et de la Haute-Navarre. Il semblerait correspondre à la facture de la fin du Moyen-Age qui reste usitée au XVIe siècle. Cette facture rejoint aussi les exemples d’Asson, de Saint-Vivien de Bielle et les chapelles nord et sud de Sainte-Colome qui offrent de beaux témoignages de voûtes à liernes et tiercerons. Elle diffère, en revanche, de la formule plus simplifiée adoptée par les édifices du Vic-Bilh composée de simples pans abattus (Argelos) ou d’un double cavet séparé par un listel (Thèze, Simacourbe, Montpezat, Taron) qui semble remonter à la fin du XVe siècle et sera adopté plus tardivement et quasi systématiquement comme pour les chapelles de Lembeye construites au XVIe siècle. Les liens avec la Haute-Navarre pourraient, avoir favorisé la circulation de modèles. La vallée de Salazar offre de nombreux témoignages de construction gothique appartenant au XVIe siècle. Les églises sont riches d’exemples de voûtes à liernes et tiercerons dont les formes diversifiées trouvent correspondance avec la variété des culots qui reçoivent la retombée des nervures. Les sacristies, y compris celles de dimensions restreintes sont voûtées : San Esteban de Güesa, Izalzu, San Andrés de Ezparza. La modénature des nervures des voûtes des sacristies de l’église paroissiale d’Otchagavia, reconstruite aux environs des années 1540, adopte le même profil qu’à Larrau. En Haute-Soule, la petite chapelle voûtée d’une croisée d’ogives de l’église de Haux présente ce traitement plus sec et simplifié : le tore est absent, les nervures retombant sur de minces culots tronconiques sont formées de deux cavets terminés par un listel. Même si les profils prismatiques du XVe siècle s’opposent aux profils angulaires qui s’illustrent dans le gothique des temps modernes, il convient de prendre en considération les variations régionales et, en particulier, la simplicité des nervures restera de mise dans la zone pyrénéenne, corolaire de la pauvreté des évêchés, notamment celui d’Oloron.
(fig. 7).
Le volume imposant des clefs en saillie est conforme au procédé adopté dans la seconde moitié du XIIe siècle pour renforcer la solidité des voûtes : le poids considérable des clefs comparativement aux claveaux contribuait ainsi à la pression nécessaire. Les amorces des arcs, tenant aux clefs, sont coupées assez près du corps circulaire. Cela correspond bien au procédé de construction qui solidarise la clef au remplissage de la voûte, ce qui implique que les branches d’ogives soient relativement courtes pour éviter toute rupture de ces arcs.12
Les clefs, de forme circulaire, sont formées d’un disque légèrement recreusé qui reçoit un motif en léger relief. L’utilisation de ce type de clefs pour la conception de voûtes à liernes et tiercerons pourrait paraître anachronique. L’introduction de clefs à thème historié, aménagées en disque plat, est qualifiée de « nouveauté étonnante » par Michèle Pradalier-Schlumberger pour la construction de la tour de la Vade au milieu du XIIIe siècle.13 Si les exemples béarnais, en particulier ceux de la vallée d’Ossau, affectionnent les clefs travaillées en haut-relief —Nay, Bielle—, il convient de ne pas occulter l’usage relativement fréquent des clefs circulaires par le gothique tardif .
Des motifs variés ont été identifiés aux clefs secondaires : nous retrouvons deux clefs entrecroisées en référence aux clefs du royaume remises à saint Pierre ; un vase à doubles anses rappelle certains modèles de verres antiques. De nombreux motifs géométriques viennent orner les tranches des clefs : roue tournante, motif à trois virgules rapproché des rouelles celtiques. La clef de la première travée est ornée d’une représentation singulière de l’Agnus dei qui ne correspond pas, mis à part la posture agenouillée, à la figuration classique de l’animal sacrificiel (fig. n° 8). Il s’agirait du Baptiste, qui, dans un geste annonciateur, son pouce et son index levés (peut-être en référence à ses reliques dispersées) désigne le Christ comme « l’Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde » en référence au texte johannique. La désignation du Christ est, ici, corroborée par l’épigraphie placée au-dessus du motif. Le mot Ioheba, probablement une mauvaise transcription de Iehoba, évoque le nom de Dieu. Cette singularité iconographique assortie de la désignation du nom de Dieu sous cette forme particulière interroge sur les motivations qui ont présidé à ce choix. Elles révèleraient le renouvellement de la forme de l’adoration de l’agneau qui réapparaît au XVe siècle14 ou encore résulterait d’une influence Renaissance.
La voûte de la seconde travée réserve la place centrale à l’aigle de saint Jean, singulièrement représenté dans la posture de l’aigle héraldique. Il évoque ici l’évangéliste du tétramorphe puisqu’il est associé aux figurations des animaux symboliques des saints Marc, Luc et Matthieu. Le traitement naturaliste du décor reste fruste. L’exemple de Larrau rejoint les églises de la vallée d’Ossau témoignant de la domination de la présence des animaux symboliques aux clés secondaires dans le sanctuaire. En cela, le gothique tardif renoue avec la tradition romane qui les plaçait comme gardiens des lieux les plus sacrés. Figure emblématique, l’aigle héraldique de Larrau pourrait correspondre à la volonté d’une famille locale. C’est aussi l’évocation à saint Jean en référence au lieu, Sanctus Johanes de Larraun, ce qui n’exclue pas une association à la thématique du tétramorphe. La prééminence de cet oiseau s’est opérée à partir du milieu du XIIe siècle contribuant à accentuer sa dimension christologique.
(fig. 8).
L’épigraphie, inédite, anime le pourtour de la tranche de la clef de voûte de la première travée. Cette découverte peut amener quelques pistes pour la datation et matérialise le pouvoir de Bereterretxe au sein de l’organisation sociale de la communauté.
L’ensemble se compose de 23 lettres dont certaines sont liées. Trois points matérialisés par des losanges scindent la phrase en trois groupes de mots : U15 C. BERETH (E) RECHE. MITI MARIANA. La signification de cette inscription pose un certain nombre de difficultés. Si la lecture de Mariana et de Bereterretche est relativement facile, il en va autrement de miti qui pose des questionnements. Ce mot pourrait correspondre à Mariti dans la mesure où le signe placé au-dessus du M est souvent mis pour l’abréviation « ar » d’après le linguiste J.-B. Orpustan.16 Plusieurs fois attesté dans les sources directes, Bereterretche détenait des fonctions importantes dans le village (désigné el primo mossen sanx de Bereterretche en 1540, prieur au XVIIe et XVIIIe siècles, percepteur au XIXe siècle). Bereterretche est le héros de la chanson inventée au milieu du XVe siècle, Bereterretxen khantoria qui renvoyait aux luttes sanglantes en Haute Soule et Haute Navarre entre les maisons rivales de Luxe et de Gramont. Elle fut publiée pour la première fois par J.D.J Sallaberry17 en 1870. Ce dernier avait posé quelques questions sur l’origine de cette légende du jeune Bereterretche condamné à mort par le comte jaloux de se voir préféré auprès de la belle marguerite d’Espeldoy. Jean Haritschelhar18 retraça l’histoire de ce texte dans le commentaire littéraire qu’il en fit. En 1899, Jean de Jaurgain replaça le texte dans son contexte historique19: « C’est donc de la première moitié du quinzième siècle, entre 1434 et 1449 que date la ballade de Bereterretche car le meurtre du fils de Marisantz de Bustanoby fut certainement commis ou ordonné par le comte de Lérin20 —qui était navarrais et parlait le basque—, pendant qu’il commandait au château de Mauléon. » La paléographie appuierait assez bien l’hypothèse de datation, entre la deuxième moitié du XVe siècle et la première moitié du XVIe siècle.21
L’épigraphie matérialise la donation de Bereterretche pour Mariana et participe de la dimension symbolique de la construction des voûtes. Cette démarche peut avoir une visée emblématique, correspondant à la société sur emblématisée des XVe et XVIe siècles. Du point de vue de la pratique, l’inscription du nom dans l’espace liturgique s’inscrit aussi dans une logique médiévale qui accorde une place réelle et un rôle fondamental à la nomination car elle représente l’individu (C.Treffort).
L’inscription du nom d’un personnage important dans l’organisation sociale de la communauté, associée à une image au message eucharistique, place cet acte sur un mode symbolique d’intercession entre les mondes terrestre et divin participant à renforcer la sacralité de cet espace qui devient également espace mémoriel. En définitive, l’espace liturgique atteste une imbrication de démarches temporelle et spirituelle. L’architecture est signifiante dans la mémoire collective tout en étant utilisée pour soutenir un message religieux.
Tous ces éléments participent à Larrau d’une véritable organisation hiérarchisée de l’espace ecclésial correspondant à une volonté d’embellissement du chevet et du sanctuaire liturgique. L’esthétique flamboyante s’exprime ici par l’intensification de l’opposition entre espace laïc et la partie sacrée. Si l’utilisation de procédés architecturaux de l’architecture ogivale de Saint-Jean-Baptiste de Larrau dénote un certain archaïsme (retombées des nervures, clefs circulaires, culots), le choix de ce parti architectural de la voûte à liernes et tiercerons et la dimension symbolique qu’il revêt relèvent d’une conception moderne. Il correspond à ce qui est communément appelé le gothique de 1500 dont les préceptes s’appliquent « à une époque où il semble que l’on ait ressenti le caractère distinctif et la valeur symbolique du gothique en tant que système de construction fondé sur la voûte à nervures ».22 La forme renouvelée s’opère aussi, au sein de cette production gothique tardive de Larrau, par l’altération de thèmes iconographiques et de leur représentation (une mutation de la figuration de l’Agnus Dei ou du tétramorphe au sein d’une thématique médiévale). La construction du voûtement du chevet de Larrau se situerait à la confluence de deux mouvements importants, ceux de la Navarre et de l’Aquitaine. Les exemples similaires abondent en Haute-Navarre. Les exemples des églises d’Esparza, d’Izal ou San Vicente d’Igal sont significatifs de la juxtaposition de partis architecturaux. En vallée d’Ossau, également, on assiste à une floraison de l’architecture religieuse gothique tardive, à partir de 1479, c’est-à-dire, au moment où la maison de Foix puis des Albret joignent à leurs seigneuries de France, la couronne de Navarre. La propagation des formes du gothique tardif correspond également à la mise en valeur des terres d’Aquitaines entre la deuxième moitié du XVe et la première du XVIe siècle.
Pour conclure, cette église pourrait à la fois être le témoin de réseaux d’échanges tout en étant empreinte de la forte inertie des procédés locaux de construction de l’architecture rurale, confirmant sa logique pérenne d’appartenance à son territoire. Elle puise néanmoins les éléments nécessaires à son propre développement, générant une création originale, métissée, résultant d’une acculturation.
1 A.D.P.A. 2270
2Antonio Durán Gudiol, A. Duran Gudiol, El hospital de Somport entre Aragon y Bearn (siglos XII y XIII), Guara éditorial, Zaragoza, 1986.p. 72 et p. 29.
3Ces éléments sont dissimulés à l’intérieur du caisson supportant les tribunes qui se développent en gradins sur toute la surface de la nef.
4Louis Colas, premier auteur qui a publié l’ensemble sculpté du portail et sa retranscription.
5Un badigeon de chaux le recouvre à présent, réalisé dans le cadre des travaux de mise en valeur de l’église en 2008.
6Philippe Araguas, Inventaire topographique Vic-Bilh, Morlaas, Montanérès, Pyrénées-Atlantiques, Inventaire général, Imprimerie nationale, édition, Paris 1989, p.39.
7 D’après l’analyse comparée des cadastres.
8Denise Jalabert, La flore sculptée des monuments du Moyen Age en France, Ed. A et J. Picard et Cie, Paris, 1965, p.100.
9A.C., Travaux de réparations et restaurations. Etat des lieux, A. Grésy, architecte, 18 octobre 1971.
10Carte géologique à 1/50 000 Larrau, XIV-47, sous la direction du professeur M. Casteras, université de Toulouse, direction du service géologique national, Orléans-la-Source, 1970, p. 11.
11Deloffre R. Bonnefous J., Pierres des églises romanes et gothiques en Béarn et Pays Basque, Ed. J&D, Biarritz, 1992 pp.113-114.
12Eugène Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1856, T3.
13Michèle Pradalier-Schlumberger, Toulouse et le Languedoc : la sculpture gothique XIIIe-XIVe siècles, Presses universitaires du Mirail, Toulouse, 1998 p. 81.
14Michel Pastoureau, Couleurs, images, symboles, étude d’histoire et d’anthropologie, Le Léopard d’Or.
15Nous privilégions la lecture d’un U plutôt que d’un J, qui semble plus adéquat si on est à la fin du Moyen Age. Nous n’avons pu trouver de réponse sur la signification de ces deux lettres.
16Génitif latin maritus c’est-à-dire « de son mari ».
17J.D.J Sallaberry, Chants populaires du Pays Basque, Bayonne 1870, p 209.
18Jean Haritschelhar, « Bereterretxen Khantoria », Académie de langue basque dans Veleia Symbolae, Ludovico Mitxelena septuagenario oblatae, Universidad del Pais Vasco, Vitoria, 1985, p 1063.
19Jean de Jaurgain, « Quelques légendes poétiques du Pays de Soule », dans La tradition au Pays Basque, Paris 1899, pp. 368-383.
20Il s’agit de Louis de Beaumont, connétable de Navarre qui commandait le château de Mauléon depuis 1434 jusqu’en 1449 où le château tomba aux mains des Français.
21D’après Vincent Debiais, ingénieur de recherche, membre de l’équipe d’épigraphie médiévale au CESCM de Poitiers.
22Henri Zerner, L’art de la Renaissance en France, l’invention du classicisme, Flammarion, Paris, 1996 (consulté dans l’édition de 2002, p. 16).
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